Article de Nicole janneton-Marino

Article de Nicole janneton-Marino, journaliste, paru dans la rubrique " Histoire et Patrimoine " de "L’essentiel", La Rochelle ( N° 6, juin 2006 )

ANDRE LEO (1824-1900), une femme de lettres méconnue

Jusqu’aux années 80, rares étaient ceux pour qui le nom d’André Léo, pourtant bien connu à la fin du Second Empire, évoquait cette femme de lettres, romancière militante féministe, romantique à ses heures, journaliste politique et essayiste.

Portrait de André Léo

On l’avait oubliée, peut-être parce qu’elle avait dérangé, réclamant la justice pour les ouvriers et les paysans, et l’égalité pour les femmes, ce que les Proudhon, Barbey d’Aurevilly ou même Jules Vallès n’avaient pu lui pardonner. Figure de proue de la Commune, aux côtés de Louise Michel, une chape de plomb était retombée sur elle après son retour d’exil. De ci, de là, des féministes avaient écrit des articles sur elle mais pas assez pour la révéler au grand public.
C’est grâce à la thèse de Fernanda Gastaldello, ainsi qu’aux actions menées par l’ « Association André Léo », que Léodile Béra Champseix, alias André Léo, est sortie de l’anonymat.

La « jeune fille rangée »

Victoire Léodile Béra naît à Lusignan, en 1824, dans une famille de la bourgeoisie rurale. Enfance, adolescence sans histoires. Elle aurait pu suivre la voie des jeunes filles de son milieu, faire un mariage de convenance et veiller au bien être de son époux et de ses enfants. Cela aurait été sans compter avec ses ascendants : un grand-père avocat franc-maçon révolutionnaire, ayant défendu les paysans contre le clergé et la noblesse, et un père notaire puis juge de paix à Champagné-Saint-Hilaire, homme éclairé et libéral, dont l’abondante bibliothèque a sans doute nourri la jeune fille pendant ses heures de solitude. Léodile aspirait à une autre vie. Elle écrivait à une amie : « Je m’ennuyais profondément (…) et le mariage même, par tout ce que j’en voyais me déplaisait. Je suis tombée malade comme (…) une plante hors de sa terre. C’est le goût d’écrire qui m’a ranimée et la vie active qui m’a guérie ». Léodile Béra écrit un premier roman : « Une vieille fille ». Une femme déçue par les hommes trouve le véritable amour en la personne d’un jeune étudiant de 10 ans son cadet. Sujet prémonitoire ? Mais nous sommes en 1851, elle a 27 ans et a enfin rencontré celui qui sera son époux, malheureusement 12 ans seulement. Pierre Grégoire Champseix est un journaliste engagé, de 7 ans son aîné et de santé fragile, un disciple du philosophe saint-simonnien Pierre Leroux. Le coup d’Etat du 2 décembre les oblige à s’exiler en Suisse où ils se marient. Deux jumeaux naîtront de cette union en 1853 : André et Léo.

- Inauguration du chemin patrimonial "Sur les pas de André Léo" à Champagné Saint Hilaire (86) avec les représentants de la Commune, de la communauté de Communes, de la Région Poitou Charente et de l’Association André Léo.

La romancière romantique

« Un mariage scandaleux » est le premier roman paru sous le pseudonyme d’André Léo. Elle y décrit avec réalisme la vie des paysans et des bourgeois poitevins, qu’elle connaît bien, et dénonce les préjugés de ces derniers à l’encontre de la classe laborieuse. Les premières victimes en sont les jeunes filles : jeune paysanne abusée par un ingénieur arriviste et son enfant mourant à l’hospice, jeune fille bourgeoise obéissant à ses parents qui font son malheur, jeune noble sacrifiée parce qu’elle « aime au-dessous de son rang ». Lucie, l’héroïne sensible et généreuse échappera-t-elle à un destin tout tracé ? Grâce à la force de son amour et à sa détermination, et après bien des péripéties audacieuses, elle finit par épouser le jeune paysan honnête qu’elle aime. A côté des portraits sans indulgence des commères et des bourgeoises prétentieuses, des hobereaux arrogants et des coureurs de dot sans scrupule, souvent, l’écriture se fait romantique : déclaration d’amour à genoux, les yeux humides, billets doux déposés sur un rebord de fenêtre au clair de lune, lente agonie d’une jeune poitrinaire, nature en harmonie avec les sentiments des personnages, poésie des descriptions : « A peine les gelées printanières avaient cessé d’étreindre le sol, que déjà la verdure avait tout envahi. Déjà les pâquerettes épanouies blanchissaient les prés, et l’épine blanche, ou prunier sauvage, étalait sa neige sur ses rameaux bruns. Déjà les blés d’hiver couvraient à demi les sillons, tandis que dans les guérets nus encore, le laboureur, courbé sur la charrue, excitait ses bœufs à voix haute, en les appelant par leurs noms. » Les tableaux champêtres de Courbet ou de Millet ne sont pas loin. Pourtant, Léodile dut publier à compte d’auteur, heureusement consolée par l’accueil enthousiaste de la critique, qui la compara à George Sand.
« Un divorce » traite du thème de l’amour et des mariages arrangés par des parents craignant les mésalliances. Il sera publié en feuilleton, ce qui se faisait souvent à l’époque : Hugo, Balzac ou Dumas en sont des exemples fameux.
De retour à Paris, après l’amnistie de 1860, et malgré la perte douloureuse de son époux en 1863, André Léo reprend la plume avec courage et assiduité : c’est sa passion, et elle a deux enfants à élever seule. On peut citer « Les deux filles de Monsieur Plichon », roman épistolaire de 62 lettres échangées par deux jeunes gens évoquant la vie parisienne et ses intrigues, opposée à la vie campagnarde simple et saine ; et aussi « L’idéal au village », « Double histoire », « Histoire d’un fait divers », « Attendre-espérer. Les désirs de Marinette ». Suivirent alors, au fil du temps, de nombreux romans dont les deux derniers « La famille Audroit et l’éducation nouvelle » et « Coupons le câble » paraîtront en 1899, un an avant sa mort à 76 ans.

La journaliste engagée

Dès son entrée en écriture, André Léo s’engagea dans plusieurs combats, d’abord, par le biais de ses romans et traités, en militant pour la reconnaissance des valeurs des classes sociales défavorisées et de la place de la femme au sein du foyer, et ensuite par ses articles fougueux dans différents journaux parisiens. Révoltée par les problèmes sociaux de son époque, elle fit entendre sa voix surtout de1867 jusqu’à la Commune. Un homme n’est peut-être pas étranger à cette activité : Benoît Malon, militant ouvrier, avec lequel elle vivra jusqu’en 1878. Il a 11 ans de moins qu’elle. Comme l’écrit Alain Dalotel, biographe d’André Léo : « elle va devenir son Pygmalion ». Ils déploient tous deux une grande activité politique, ce qui les fait remarquer par la police impériale. André Léo écrit pour « La Coopération » sur les questions sociales : reportages sur les conditions de travail, les salaires (du simple au double pour les femmes !) ; appels à la démocratie, à l’esprit de justice, à l’éducation du peuple ; discussion sur les inégalités, accusant des économistes comme Dunoyer ou Renan d’accepter « la misère comme un mal nécessaire ». Elle reprendra ces idées dans son roman « La grande illusion des petits bourgeois ».
André Léo commence à collaborer aussi à l’hebdomadaire l’Egalité, lancé par Bakounine, fondateur de l’alliance internationale de la démocratie socialiste, mais, plus tolérante que ses collègues, elle est bien vite taxée de « socialisme bourgeois » et démise. Sa tentative de création d’un hebdomadaire de vulgarisation scientifique, historique et politique : « l’Agriculteur » n’aboutit pas. Mais en 1871 André Léo lance, avec Benoît Malon et quelques amis « La République des Travailleurs », organe de l’Association internationale.
Depuis septembre 1870, Paris est assiégé par les armées prussiennes. André Léo est aux côtés de Louise Michel dans le Comité de Vigilance de Montmartre. Elle participe aussi au Comité des citoyennes du XVIIème arrondissement et à l’Union des femmes pour la défense de Paris et le soin aux blessés. André Léo se dépense sans compter, écrivant des articles mais aussi prenant la parole dans les différents comités. Pendant la Commune, elle fonde le quotidien « La Sociale » et écrit dans « La Commune » et « Le Cri du Peuple ». Son ambition était d’unir les ouvriers des villes et ceux des campagnes, tous exploités. Elle lança un appel « Au travailleur des campagnes », dont 100.000 exemplaires furent distribués en province. Sans succès. Dans les désordres de la Commune et surtout la répression des Versaillais, André Léo courut de graves dangers. On pense qu’elle se cacha chez une amie avant de se réfugier à nouveau en Suisse où elle retrouva Benoît Malon. Elle y déploiera une activité politique intense et y restera jusqu’à l’amnistie de 1880.

- Panneau d’extrait du livre "Un mariage scandaleux" sur le chemin patrimonial à Champagné Saint Hilaire (86)

André Léo, la féministe

En 1868, André Léo avait déjà milité pour les femmes et proposé des « coopératives spécifiques au travail féminin », sans oublier leur droit à l’éducation. En 1869, avec un groupe de femmes, elle créait la « Société de revendication des droits de la femme » et demandait qu’on ouvre des écoles de filles. Il fallait aussi réformer le Code civil, très défavorable aux femmes. Notons au passage l’opinion, révolutionnaire à l’époque, d’André Léo sur la maternité. Elle lui reconnaît sa valeur – et elle la mit en pratique dans sa propre vie – mais elle pense qu’elle ne doit pas être « sa fonction suprême, sa morale » : la femme doit surtout travailler et être indépendante. C’est l’époque de la publication d’« Aline-Ali », roman féministe où la prétendue infériorité des femmes est battue en brèche. Elle rédige un essai capital : « La Femme et les mœurs. Liberté ou monarchie ». L’essai est passionnant, sans oublier les passages concernant la théorie de Bischoff sur la légèreté du cerveau féminin. On y apprend dans les excellentes notes de Monique Biarnais, que le cerveau de cet éminent professeur, pesé après sa mort à sa demande, pesait 5gr de moins que le cerveau féminin moyen ! En 1877, paraît « Marianne », « l’un des meilleurs romans d’André Léo », d’après Fernanda Gastaldello, dans lequel elle dénonce à nouveau le conformisme des familles poitevines.

- Pierre tombale de André Léo au cimetière d’Auteuil

Comme nous l’avons vu brièvement, les écrits d’André Léo sont multiples et réflètent différents aspects de la société sous le Second Empire. Admirée de son vivant par les uns pour son esprit d’observation et son courage, mais critiquée par les autres pour ses « romans à thèse à portée morale », André Léo mérite toute notre attention. Seule la réédition de ses œuvres complètes : romans, traités, contes, articles et discours permettra que lui soit rendue la place qu’elle mérite parmi les grands noms de la littérature du XIXème siècle .

- Nicole Janneton-Marino

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